Le fonctionnement de toute entreprise est l’objet de conflit de pouvoir entre les parties prenantes internes et externes qui agissent en fonction de leurs propres objectifs. Le dirigeant doit en permanence arbitrer entre les attentes des différentes parties prenantes qui peuvent constituer autant de contre-pouvoirs, c’est ce qui constitue la gouvernance.
« Les parties prenantes désignent tout groupe ou individu qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des buts de l’entreprise » selon FREEMAN (1984). Chaque partie prenante est un acteur qui va chercher à exercer son pouvoir, à faire valoir ses propres intérêts.
Les parties prenantes et le processus de décision
Parties prenante internes (acteurs au sein de l’organisation)
Actionnaires
- Les actionnaires apportent des capitaux à l’entreprise : ce sont les propriétaires.
- Ils attendent que les dirigeants défendent leurs intérêts et de recevoir des dividendes élevés.
- Ils participent aux AG, et ont le pouvoir de révoquer les dirigeants.
Dirigeants manager
- Les dirigeants manager apportent des compétences et contribuent à la réalisation des objectifs par leur implication.
- Ils attendent une rémunération motivante liée aux résultats.
- Ils participent aux choix stratégiques et imposent leurs solution par leur charisme et leur expertise.
Salariés et leurs représentants (IRP)
- Les salariés apportent des compétences et contribuent à la réalisation des objectifs par leur implication.
- Ils attendent une rémunération équitable, de bonnes conditions de travail et une certaine reconnaissance par l’entreprise.
- Ils peuvent donner leur avis par l’intermédiaire du CE et autres représentants et contester les décisions via les délégués syndicaux.
Parties prenantes externes (partenaires extérieurs)
Clients
- Les clients apportent du CA et une marge bénéficiaire à l’entreprise.
- Ils attendent des produits qui répondent à leurs attentes (qualité, meilleur prix…)
- Ils peuvent engager des actions en réparation, ou avoir recours à des associations de consommateurs.
Fournisseurs et sous-traitants
- Les fournisseurs et sous-traitants apportent les besoins et les services nécessaires à la production.
- Ils attendent des prix corrects et des relations contractuelles durables et équitables par l’entreprise.
- Ils ont un pouvoir de négociation et peuvent engager une action en réparation.
Etat et collectivité territoriales
- L’Etat et la collectivité apportent des services publics, des infrastructures et un cadre réglementaire.
- Ils attendent de l’entreprise un certain dynamisme économique et une attitude citoyenne (RSE).
- Ils peuvent user de leur pouvoir pour orienter l’activité de l’entreprise, voir la contraindre.
Société civile, ONG
- Les sociétés civiles et ONG apportent un environnement favorable à l’entreprise.
- Elles attendent une attitude citoyenne.
- Elles peuvent user de pression médiatique ou de boycott, etc.
Les parties prenantes poursuivent souvent des intérêts contradictoires
Quelques exemples :
- Les actionnaires et les salariés vont s’opposer quant aux décisions à prendre, Ils vont lutter pour le partage de la VA : les premiers voulant un partage de la VA qui leur soit favorable (dividendes), alors que les salariés voudront obtenir de meilleurs salaires. Ce qui n’est pas toujours compatible.
- Les décisions des dirigeants pourront aller à l’encontre des intérêts des salariés. Par exemple, des décisions portant sur l’automatisation de la production, ou sur sa délocalisation qui peuvent menacer l’emploi. Des objectifs ambitieux qui imposent un surcroît de productivité et peuvent générer du stress, seront préjudiciables aux salariés.
- Certaines décisions favorables à la pérennité de l’entreprise peuvent nuire aux intérêts de la société civile. Par exemple, un projet d’investissement qui va conduire à la dégradation du paysage et à sa pollution (externalité négative).
Les parties prenantes comme contre-pouvoir
Le pouvoir est la capacité des individus ou des groupes à inciter, persuader ou forcer les autres à modifier leur comportement. Le contre-pouvoir est un groupement organisé agissant pour certaines parties prenantes dans l’entreprise.
Les sources du pouvoir selon CROZIER : une « logique d’acteurs »
Crozier est un sociologue français qui a écrit en 1977 « l’acteur et le système ». (fiche auteur : Crozier)
L’entreprise est un lieu de pouvoir : chacun va chercher à en obtenir afin de servir ses propres objectifs.
L’entreprise est une zone de jeux de pouvoir qui ne se limitent pas au pouvoir hiérarchique. Le salarié ne veut pas se laisser enfermer dans des procédures et des systèmes rigides. Il va chercher à récupérer des espaces de liberté pour ses propres stratégies pour servir ses intérêts. Il va profiter de « zones d’incertitude » dont la maîtrise lui assurera un certain pouvoir, celui de coopérer ou de s’opposer aux décisions prises.
Pouvoir et contre-pouvoirs selon CYERT et MARCH
Une entreprise est selon eux une organisation composée d’acteurs poursuivant des objectifs différents, parfois opposés. Ces acteurs se regroupent parfois pour former des coalitions cherchant à réaliser leurs propres objectifs, souvent très différents de ceux de l’entreprise. L’entreprise devient alors une « arène » ou s’affrontent ces coalitions. ces pouvoirs et contre-pouvoirs.
Le dirigeant doit chercher des compromis, faire des alliances. Les décisions prises sont le résultat des négociations entre les différents acteurs. Il faut arbitrer ces conflits d’intérêts et décider d’une certaine gouvernance.
La gouvernance comme arbitrage des intérêts contradictoires des parties prenantes
Notion de gouvernance
En anglais governance ; synonyme : gouvernement d’entreprise
C’est un concept complexe que l’on peut définir comme « les moyens mis en œuvre pour limiter le pouvoir des dirigeants et influencer leurs décisions dans l’intérêt des parties prenantes« .
Elle constitue un mode d’arbitrage entre les intérêts contradictoires des différentes parties prenantes, dont certaines vont se poser en contre-pouvoir. Ces contre-pouvoirs vont chercher à limiter les abus et les ambitions qui pourraient porter préjudice aux missions de l’entreprise. Il va s’agir de répartir les pouvoirs particulièrement décision, et de les équilibrer. Cela passe par des règles de fonctionnement transparentes, des codes de bonne pratique, des procédures de contrôle.
La gouvernance regroupe la manière dont les entreprises sont contrôlées et dirigées.
Les 2 principales formes (ou modèles) de gouvernance
On oppose la gouvernance actionnariale à la gouvernance partenariale.
Gouvernance actionnariale (A rattacher à la finalité lucrative = financière)
Modèle de gouvernance qui vise à maximiser la valeur actionnariale (dividendes et cours boursier) et donc à défendre avant tout les intérêts des actionnaires.
Explication :
Lorsque l’entrepreneur est l’unique ou le principal propriétaire de l’entreprise, les problèmes de gouvernance entre détenteurs du capital de l’entreprise et dirigeants n’existent pas. Mais lorsque, dans une société de capitaux, il y a séparation entre propriétaires et dirigeants salariés se pose la question de la pratique du pouvoir compte tenu des divergences d’intérêts qui peuvent exister entre eux. Les actionnaires, propriétaires du capital, veulent contrôler les dirigeants salariés qu’ils ont mandatés pour gérer l’entreprise à leur place Ils veulent les inciter à créer le maximum de valeur pour que le cours de l’action s’apprécie et pour obtenir le versement de forts dividendes. Or, ils craignent que les managers salariés ne se servent de l’entreprise pour servir leurs intérêts propres, qu’ils agissent en opportunistes. Ainsi, les actionnaires ne veulent pas être spoliés. Ils exercent alors leur contre-pouvoir à travers la gouvernance actionnariale.
Exemples de pratique de bonne gouvernance actionnariale :
- Création de comités (« comité stratégique », « comité de rémunération », « comité d’audits ») pour renforcer le pouvoir de décision stratégique du Conseil d’ Administration.
- Séparation en 2 de la fonction de PDG dans les SA. Le Président du Conseil représente les administrateurs et donc défend les actionnaires, et le Directeur Général est chargé de la direction exécutive de l’entreprise.
- Publication annuelle d’un rapport sur la pratique de gouvernance des managers.
- Regroupement des actionnaires minoritaires au sein d’associations pour exiger des informations et demander des comptes aux dirigeants.
Gouvernance partenariale (A rattacher à la RSE et à la finalité sociétale)
Modèle de gouvernance qui privilégie la création de valeur pour satisfaire toutes les parties prenantes.
Explication :
Selon cette approche, la production de richesse nécessite l’implication de toutes les parties prenantes : non seulement les actionnaires, mais aussi les salariés, les clients, les fournisseurs, les banques, la puissance publique… Il est nécessaire qu’elles participent à son gouvernement et contribuent’à stratégie qui minimise tous les risques et assure une meilleure pérennité de l’entreprise. Exemples de pratique de bonne gouvernance partenariale :
Les dirigeants cherchent donc à composer avec toutes les parties prenantes. Ils se placent dans une optique de responsabilité sociétale.
- Rédaction de chartes de bonne conduite respectueuses des consommateurs, de la société.
- Obtention du label ISR décerné par des agences de notation extra-financière type Vigeo.
Séduisante en substance, la théorie des parties prenantes s’est pourtant heurtée à des difficultés dans sa mise en œuvre.
Résumé :
La gouvernance constitue un mode d’arbitrage entre les intérêts contradictoires des différentes parties prenantes, internes et externes à l’entreprise, sources éventuelles de contre-pouvoirs.
La nature des relations qui se nouent entre les acteurs au sein de l’organisation et avec les partenaires extérieurs influence de façon déterminante le mode de gouvernance dans l’Entreprise. Le dirigeant doit en permanence arbitrer entre les attentes des différentes parties prenantes qui peuvent constituer autant de contre-pouvoirs (M. CROZIER).