Le risque est un événement incertain dont la survenance peut causer un dommage aux personnes et/ou aux biens. (Notez bien le caractère aléatoire du risque).
Le droit s’est d’abord préoccupé des risques personnels en développant une responsabilité fondée sur la faute. Avec le développement industriel, la croissance économique… de nouveaux risques sont arrivés (accident de la circulation, utilisation de nouveaux matériaux, OGM, …) et le droit a évolué. Certains risques peuvent avoir des incidences collectives : leur survenance peut provoquer un nombre important de victimes sans toutefois permettre l’identification du responsable. De plus, la perception du risque évolue : dans un contexte de valorisation de la personne, la demande sociale exige davantage de sécurité.
A côté du mécanisme traditionnel de la responsabilité, le législateur a imaginé de nouveaux dispositifs.
- Dans une société qui nous expose à de plus en plus de risques et où nous refusons d’être victimes, comment le risque est-il appréhendé par le droit ?
- Quelles sont les évolutions des principes juridiques en matière de risques et leurs conséquences au niveau sociétal ?
Evolution du fondement de la responsabilité civile: « de la faute au risque »
Qu’est-ce qui fait qu’un sujet de droit est responsable ?
Historiquement, 2 principes se sont succédés. La doctrine juridique a évolué : au-delà de la faute (responsabilité subjective), la doctrine propose un autre fondement à la responsabilité : le risque. Il s’agit d’une responsabilité objective.
La faute prouvée, fondement historique de la Responsabilité Civile
La notion de responsabilité (responsabilité civile notée R. Civ.) apparaît en 1804 avec le code civil de Napoléon IER. Elle correspond à l’obligation légale de réparer le dommage subi par une autre personne.
Il s’agit des articles 1240 (ex-1382) du c.civ. : faute personnelle de son propre fait, et 1241 (ex-1383) : faute personnelle par imprudence ou par négligence. Cette faute constitue le fait générateur de référence.
Mais aussi des articles 1242 (ex-1384 du c.civ. qui font peser sur certaines personnes (employeur, maître, parents) la faute commise par une autre (salarié, apprenti, enfant). On la nomme « responsabilité du fait d’autrui ».
Le droit de la responsabilité civile est alors, historiquement, uniquement fondé sur la faute. Si quelqu’un cause un dommage à autrui par sa faute, ou par celui dont il est responsable, alors il lui doit réparation. Que cette faute soit « intentionnelle » ou « non intentionnelle ».
Ce qui n’est pas sans poser problème : lorsque la victime ne parvient pas, à l’époque, à prouver l’existence d’une faute, c’est qu’elle est victime du mauvais sort (« la faute à pas de chance » l). Il existe ainsi des dommages que le système ne permet pas de réparer, mais qui restent très exceptionnels (foudre, catastrophe naturelle, etc.).
Il y a donc la séquence suivante :
FAUTE –> DOMMAGE à autrui –> RÉPARATION
Il s’agit d’une responsabilité subjective, nommée ainsi car elle est liée à un sujet : celui qui a commis la faute.
Le risque, nouveau fondement de la Responsabilité civile dès la fin du 19ème siècle. (selon la « théorie du risque »)
Avec la Révolution Industrielle sous l’impact du progrès technique, les risques augmentent, se diversifient et les accidents (matériels et corporels) se multiplient. A coté des risques professionnels au sens propre (accidents du travail en relation avec les machines, avec les matières transformées ou avec le processus industriel), apparaissent des risques liés aux nouveaux moyens de transport (véhicules automobiles, avions, etc.) ou à l’utilisation de nouvelles techniques (ascenseur, four, appareil de chauffage, etc.) dans la vie quotidienne. Les dommages sont plus nombreux et plus graves.
Un système de responsabilité civile fondée exclusivement sur la faute n’est alors plus adapté car les victimes sont dans l’impossibilité d’établir la faute d’autrui et ne peuvent de ce fait obtenir réparation.
Ainsi, sous le double effet de l’accroissement des activités dangereuses lié à la l’évolution technologique et de la valorisation de la personne, la perception du risque et sa prise en compte par la jurisprudence, puis par la loi ont évolué. Nouveaux risques + demande sociale => nouveaux dispositifs
Face à cette nouvelle réalité, le risque est devenu, au côté de la faute, un nouveau fondement de la responsabilité civile (théorie du risque). Dès la fin du 19ème siècle, il apparaît normal que celui qui a le profit d’une activité supporte en contrepartie la charge des dommages qui en découlent. Il n’y a plus besoin de prouver la faute pour être dédommagé. Désormais, celui qui tire profit de son activité et fait courir des risques à son salariés, doit réparation des dommages. La victime n’a qu’une preuve à apporter : que le dommage subi résulte de l’activité du défendeur (celui qui est assigné en justice).
C’est une responsabilité sans faute.
Ainsi, la loi du 9 avril 1898 notamment prévoit la responsabilité de plein droit de l’employeur vis-à-vis de ses salariés en cas d’accident du travail. L’employeur est responsable, non plus en raison d’une faute qu’il aurait commise, mais en raison du risque professionnel qu’il fait courir à ses salariés.
C’est le risque créé par la personne mise en cause qui fonde la responsabilité. Il s’agit d’une responsabilité objective car elle n’est plus liée à la faute d’un sujet de droit. On peut être responsable sans avoir commis de faute. La responsabilité est objective car elle est fondée sur des faits et non plus sur une faute. La conséquence est très importante pour la victime qui pourra être indemnisée même lorsque aucune faute n’a été commise. II s’agit d’une responsabilité de plein droit.
- Par ex., en cas d’accident du travail subi par un salarié, c’est l’employeur (PP ou PM) qui est responsable de plein droit, même s’il n’a commis aucune faute.
- Par ex., le producteur est responsable de plein droit des dommages causés par son produit défectueux, même s’il n’a connus aucune faute, même s’il a bien respecté les normes de sécurité. Le seul fait que le produit défectueux ait causé un dommage oblige le producteur à le réparer.
Les textes du Code civil ne peuvent prendre en compte tous les risques de la société moderne : les risques individuels comme les accidents du travail ou de transport (avion, voiture..), des risques liés aux transfusions sanguines ou aux accidents médicaux, ou encore des risques nés de l’utilisation de produits défectueux, mais aussi les risques collectifs, comme dans le domaine de l’énergie nucléaire, en matière de pollution des mers ou d’atteinte à l’environnement.
La socialisation du risque
La responsabilité connaît un vaste mouvement de socialisation (ou de collectivisation) du risque conjointement au mouvement d’objectivation. Ce mouvement d’objectivation qui conduit à s’attacher d’avantage à la réparation du dommage plutôt qu’au seul comportement du sujet responsable nécessite d’assurer une collectivisation de la responsabilité afin de diluer la charge de l’indemnisation.
Les techniques de socialisation du risque
Mutualiser le risque est en effet le moyen d’assurer aux victimes une réparation financière efficace. On passe ainsi globalement d’une réparation individuelle à une réparation collective du risque en prenant également en compte le fait que les risques ne sont plus seulement individuels mais aussi collectifs.
On assiste alors au développement de l’assurance privée (assurance de ses propres biens, assurance contre les accidents de la vie, etc,) –> mécanisme de mutualisation du risque.
- Assurance indirecte : l’assureur paye à la place de l’assuré fautif (ex. assurance pour couvrir les dommages consécutifs à un accident de travail de ses salariés…)
- Assurance directe : c’est la victime qui s’assure (ex. pour un vol de portable)
La sécurité sociale, créée en 1945, est un mécanisme public de socialisation des risques. Elle couvre les risques maladie, maternité, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesse, famille. De plus, elle joue un rôle premier en France notamment en ce qui concerne l’indemnisation du dommage corporel. Elle reste le cœur de notre protection sociale malgré ses limites liées notamment à un déficit important.
Une volonté toujours accrue de réparer au maximum les dommages subis par les victimes a conduit également à la création de fonds de garantie assurant à titre subsidiaire (à côté de la responsabilité civile) ou à titre principal la réparation de dommages spécifiques : fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante créé par la loi du 23 décembre 2000, Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes (liées aux soins délivrés) et des infections nosocomiales (épidémie de grippe à l’hôpital) créé par la loi du 4 mars 2002, etc. Le financement de ces fonds est assuré par I’Etat ou par des prélèvements effectués sur les cotisations de certains contrats d’assurance.
Les enjeux de la socialisation du risque
La multiplicité des techniques spécifiques d’indemnisation, relevant de la socialisation des risques, n’a pas pour conséquence de priver d’utilité le mécanisme classique de la responsabilité civile. Celui-ci conserve toute son importance soit comme fondement complémentaire de réparation du préjudice, soit afin de permettre à l’organisme qui a indemnisé la victime (le tiers-payeur : Sécurité sociale, Fonds de garantie, etc.) de se faire rembourser des sommes versées.
La socialisation des risques est donc bénéfique pour les victimes : elles auront le maximum de chance de voir leurs dommages réparés, sans organiser l’impunité de l’auteur du dommage qui n’évite pas la charge de l’indemnisation lorsque le dommage est lié à sa faute ou à son activité.
Cependant, le mécanisme de l’assurance de responsabilité déconnecte toutefois en partie la charge de l’indemnisation de l’agissement ayant causé le dommage. La socialisation des risques altère en cela la responsabilité individuelle. Elle tend à amoindrir une fonction originaire bien qu’accessoire de la responsabilité civile : la prévention des dommages.
NB : L’évolution de règles gouvernant la responsabilité concernent toutes les branches du droit. Le droit public comme le droit privé (le droit civil édicte les règles générales ; le droit commercial, le droit bancaire, le droit de la sécurité sociale, le droit de l’environnement, etc., ont complété les règles générales, en adoptant des dispositions régissant les nouveaux risques liés à leur particularisme).
Résumé :
La faute et le risque constituent les fondements de la responsabilité civile. Le risque apparaît historiquement dans la jurisprudence puis dans la loi pour fonder le droit à réparation dans certains domaines d’activité générant des dommages accidentels. Le fait générateur est soit une faute soit un événement occasionnant un risque qui, s’il se réalise, peut donner lieu à un dommage. Dans les deux cas, le droit prévoit une réparation.
Avec la responsabilité sans faute, la responsabilité civile délictuelle connaît alors un vaste mouvement d’objectivation et de collectivisation. En outre, le regard du droit s’élargit : de la prise en compte du risque individuel au risque collectif. Sa préoccupation majeure est de prévenir, garantir les droits, réparer les dommages subis et éventuellement réprimer. Le droit témoigne de la volonté de privilégier la victime. La saisie du risque par le droit s’est effectuée de manière pragmatique et concerne différentes branches du droit.